Reconstruire l’histoire du texte avec nos mots, et notre histoire du texte avec les mots du texte.
Reconstruire à partir de ces traces de mots dans le corps, ceux qu’on oublie et ceux qui restent. Il y a des mots que notre corps ne veut pas entendre, ne retient pas.
Où se rencontrent ces deux histoires et à travers quels mots ?
Le risque des mots au-dedans de nous pas à la surface de la peau, mais dessous.
Ce n’est qu’en entendant par le dedans que l’oralité peut servir à la réécriture du texte. « Le gueuloir » de Flaubert lui permettait d’entendre non pas tant le sens mais ce qui fait jaillir le sens à savoir la sonorité, la respiration, le souffle du texte, ce qui construit son mouvement, sa gestuelle, la justesse de sa voix.
L’oralité commence avec le corps, le corps de la voix. Et c’est dans le corps de la voix que jaillit le sens. Si quelque chose ne sonne pas, on ne peut en comprendre le sens.
L’écriture n’est pas mentale, l’écriture est un acte physique (Novarina, Koltès). L’écrivain a un (des) corps d’écriture, les rythmes biologiques de son (ses) corps écrivant. (Michel Azama)
Quand l’écrivain écrit, il est totalement dedans : le temps du corps vivant est inscrit dans le texte, le labeur du corps de l’écrivain est dans le texte.
L’aveuglement de l’écrivain : depuis où écrit-il, de quel endroit de lui-même ?
Errer dans le texte, dans les blancs de l’écrivain et dans les blancs du texte, dans la place vacante laissée par l’écrivain dans l’écriture, cette place du corps de l’autre, d’un autre, le corps qui incarnera l’écriture lui donnera sa langue : Corps du lecteur, corps du comédien.
Quand on travaille avec des écrivains, on s’aperçoit qu’ils ne parlent jamais du texte mais autour du texte, dans l’ailleurs, l’avant du texte. Parfois, ils parlent l’après du texte, rarement, sauf pour en dire qu’il est détaché d’eux, accouché. Qu’il entre dans un temps qui lui est propre, celui de l’objet livre, l’objet public.
Effectivement, le texte existe alors à travers son propre corps-livre. Moment du livre seul, comme un tableau, un objet d’art.
Le temps du livre lui est particulier et peut durer des siècles. Le temps du livre est autre que le temps de l’humain. Le lecteur est confronté, lors de la lecture, à ce temps qui nourrit le livre dans un temps autre que le sien.
L’irruption de cette parole dans le temps d’ici, l’espace d’ici mais aussi dans le temps et l’espace des corps qui la reçoivent. Cette parole qui accroche quelque chose de nous, c’est une histoire de notre corps dans le corps du texte
Faire le silence pour que la parole résonne en nous, laisser un peu de place dans le corps pour qu’elle puisse y déposer sa trace.
Après le corps de l’écrivain, après le corps du texte, vient le corps de l’écriture, celui de l’incarnation de sa langue. Trois corps, trois temps, trois espaces de lecture de la langue.
Dévoilement de la voix : apparition de la vacance laisser par l’écrivain dans le texte. Un texte de théâtre est troué. Il n’est complet qu’avec le corps et la voix d’un autre : ceux du comédien, et d’un espace autre que celui du livre : le plateau, la scène.
Lecture et re-lectures du texte à travers ses sonorités et ses rythmes, son mouvement sonore. La voix est un mouvement sonore. Plaisir de la langue, goût de la langue, parfum de la langue. La langue qu’on laisse se déposer dans le corps pour qu’elle y creuse sa propre histoire, pour qu’elle devienne parole. (cf. le travail de Claude Régy)
Tout est dans l’écriture, il suffit de lire les signes du texte en les respectant comme les notes d’une partition. La profération est la première action dramatique, une tension, une activité de muscle et de salive. Avant le sens, la langue se prononce
L’écriture d’une parole comme un lieu musical définit. Chacun à une langue, un « masque acoustique » disait Canetti.
On reconnaît un personnage à sa langue comme un thème musical, un leitmotiv. C’est particulièrement vrai dans les textes de Koltès où chacun des personnages a sa musique et cette musique résonne, sonne en écho ou en rejet des autres lignes musicales. C’est la totalité de ces lignes qui donnera le choral harmonique ou la cacophonique du texte. (Voir aussi « quatuor » de Sarah Kane)
L’état d’un corps est sa respiration, c’est donc dans le texte, dans les rythmes et les sonorités du texte que nous trouverons le corps du personnage, son mouvement corporel, l’espace du corps du comédien dans l’espace.
Le corps de la langue est le corps du personnage, la couleur de sa voix, le grain de sa peau, son visage, sa manière de se mouvoir. La langue théâtrale est tension interne, action dramatique. Le mouvement scénique est inclus dans le texte, c’est de l’endroit d’où ça parle que naissent les mouvements de la mise en scène.
Au metteur en scène ensuite de choisir comment il veut faire circuler cette parole.
L’oralité ne me semble pas dissociable de l’atelier d’écriture car la mise en voix du texte, avec toute la précision méthodique qu’elle demande quant à la lecture de tous les « signes » qui le constitue, est sa première mise en corps et quand en plus cette lecture est portée par la voix d’un autre, elle constitue non seulement une nouvelle perception mais aussi une reconstruction du sens à partir desquelles le texte va se déployer et pouvoir être réentendu, réinventé.
Frédérique WOLF-MICHAUX
(Conférence « Ecriture de théâtre et Oralité » » dans le cadre du Plan National de formation Théâtre sous la direction de l’IGEN Mr Charvet. 2005)
Reconstruire à partir de ces traces de mots dans le corps, ceux qu’on oublie et ceux qui restent. Il y a des mots que notre corps ne veut pas entendre, ne retient pas.
Où se rencontrent ces deux histoires et à travers quels mots ?
Le risque des mots au-dedans de nous pas à la surface de la peau, mais dessous.
Ce n’est qu’en entendant par le dedans que l’oralité peut servir à la réécriture du texte. « Le gueuloir » de Flaubert lui permettait d’entendre non pas tant le sens mais ce qui fait jaillir le sens à savoir la sonorité, la respiration, le souffle du texte, ce qui construit son mouvement, sa gestuelle, la justesse de sa voix.
L’oralité commence avec le corps, le corps de la voix. Et c’est dans le corps de la voix que jaillit le sens. Si quelque chose ne sonne pas, on ne peut en comprendre le sens.
L’écriture n’est pas mentale, l’écriture est un acte physique (Novarina, Koltès). L’écrivain a un (des) corps d’écriture, les rythmes biologiques de son (ses) corps écrivant. (Michel Azama)
Quand l’écrivain écrit, il est totalement dedans : le temps du corps vivant est inscrit dans le texte, le labeur du corps de l’écrivain est dans le texte.
L’aveuglement de l’écrivain : depuis où écrit-il, de quel endroit de lui-même ?
Errer dans le texte, dans les blancs de l’écrivain et dans les blancs du texte, dans la place vacante laissée par l’écrivain dans l’écriture, cette place du corps de l’autre, d’un autre, le corps qui incarnera l’écriture lui donnera sa langue : Corps du lecteur, corps du comédien.
Quand on travaille avec des écrivains, on s’aperçoit qu’ils ne parlent jamais du texte mais autour du texte, dans l’ailleurs, l’avant du texte. Parfois, ils parlent l’après du texte, rarement, sauf pour en dire qu’il est détaché d’eux, accouché. Qu’il entre dans un temps qui lui est propre, celui de l’objet livre, l’objet public.
Effectivement, le texte existe alors à travers son propre corps-livre. Moment du livre seul, comme un tableau, un objet d’art.
Le temps du livre lui est particulier et peut durer des siècles. Le temps du livre est autre que le temps de l’humain. Le lecteur est confronté, lors de la lecture, à ce temps qui nourrit le livre dans un temps autre que le sien.
L’irruption de cette parole dans le temps d’ici, l’espace d’ici mais aussi dans le temps et l’espace des corps qui la reçoivent. Cette parole qui accroche quelque chose de nous, c’est une histoire de notre corps dans le corps du texte
Faire le silence pour que la parole résonne en nous, laisser un peu de place dans le corps pour qu’elle puisse y déposer sa trace.
Après le corps de l’écrivain, après le corps du texte, vient le corps de l’écriture, celui de l’incarnation de sa langue. Trois corps, trois temps, trois espaces de lecture de la langue.
Dévoilement de la voix : apparition de la vacance laisser par l’écrivain dans le texte. Un texte de théâtre est troué. Il n’est complet qu’avec le corps et la voix d’un autre : ceux du comédien, et d’un espace autre que celui du livre : le plateau, la scène.
Lecture et re-lectures du texte à travers ses sonorités et ses rythmes, son mouvement sonore. La voix est un mouvement sonore. Plaisir de la langue, goût de la langue, parfum de la langue. La langue qu’on laisse se déposer dans le corps pour qu’elle y creuse sa propre histoire, pour qu’elle devienne parole. (cf. le travail de Claude Régy)
Tout est dans l’écriture, il suffit de lire les signes du texte en les respectant comme les notes d’une partition. La profération est la première action dramatique, une tension, une activité de muscle et de salive. Avant le sens, la langue se prononce
L’écriture d’une parole comme un lieu musical définit. Chacun à une langue, un « masque acoustique » disait Canetti.
On reconnaît un personnage à sa langue comme un thème musical, un leitmotiv. C’est particulièrement vrai dans les textes de Koltès où chacun des personnages a sa musique et cette musique résonne, sonne en écho ou en rejet des autres lignes musicales. C’est la totalité de ces lignes qui donnera le choral harmonique ou la cacophonique du texte. (Voir aussi « quatuor » de Sarah Kane)
L’état d’un corps est sa respiration, c’est donc dans le texte, dans les rythmes et les sonorités du texte que nous trouverons le corps du personnage, son mouvement corporel, l’espace du corps du comédien dans l’espace.
Le corps de la langue est le corps du personnage, la couleur de sa voix, le grain de sa peau, son visage, sa manière de se mouvoir. La langue théâtrale est tension interne, action dramatique. Le mouvement scénique est inclus dans le texte, c’est de l’endroit d’où ça parle que naissent les mouvements de la mise en scène.
Au metteur en scène ensuite de choisir comment il veut faire circuler cette parole.
L’oralité ne me semble pas dissociable de l’atelier d’écriture car la mise en voix du texte, avec toute la précision méthodique qu’elle demande quant à la lecture de tous les « signes » qui le constitue, est sa première mise en corps et quand en plus cette lecture est portée par la voix d’un autre, elle constitue non seulement une nouvelle perception mais aussi une reconstruction du sens à partir desquelles le texte va se déployer et pouvoir être réentendu, réinventé.
Frédérique WOLF-MICHAUX
(Conférence « Ecriture de théâtre et Oralité » » dans le cadre du Plan National de formation Théâtre sous la direction de l’IGEN Mr Charvet. 2005)